Le Père Lucien Deiss (1921-2007) et le renouveau de la liturgie

Les mots de Dieu et la joie du musicien 

« La joie du musicien, c’est d’habiller les mots de Dieu de la beauté de la terre. »

(Lucien Deiss)

Il n’est pas nécessaire d’être mort pour entrer dans l’histoire, et il existe des revues d’histoire du temps présent… Il nous a paru intéressant de mettre dans ce numéro anthologie une notice sur une des figures spiritaines les plus connues dans le monde : le père Lucien Deiss. On ne sait pas nécessairement qu’il est spiritain, ce qui n’a jamais empêché quiconque d’aimer ses chants liturgiques et de les exécuter en toutes langues, même en chinois ! Puisqu’il est maintenant retiré à Chevilly  où tout a commencé pour lui , le père Robert Metzger [1] s’est adressé à lui pour la notice qui suit. Elle est tissée de ses paroles reprises de divers entretiens enregistrés pour les revues spiritaines  Echo des Missions et Pentecôte sur le monde [2].

Pendant près de 50 ans, le père Lucien Deiss a mis la parole de Dieu en musique. Il a composé plus de 460 cantiques. Il a beaucoup travaillé l’Écriture Sainte. Il a été un des grands artisans du renouveau liturgique. Parole de Dieu, liturgie, musique : pour lui, trois piliers du même temple où l’homme rencontre Dieu.

Né à Eschbach (Bas‑Rhin) en 1921, Lucien Deiss a grandi dans les Landes, car son père travaillait là-bas comme chef de chantier de forage. Quand Lucien a dix ans, sa famille se fixe à Strasbourg, à la Montagne Verte. Il fréquente le collège Saint-Étienne, puis il entre chez les spiritains à l’école Saint-Florent de Saverne. Il fait son grand séminaire à Chevilly et à Rome. Il est ordonné prêtre en l943. En 1947, le père Deiss part au Congo : il fait partie de l’équipe chargée de fonder le grand séminaire de Brazzaville. Après un an, pour des raisons de santé, il revient en France et est nommé à Chevilly pour enseigner l’Êcriture Sainte et la liturgie; il est aussi chargé du chant. Et cela, de 1948 à 1957.

La musique pour mémoriser les textes essentiels de la Bible

« L’amour de la musique, je l’ai hérité de mes parents. » Le père Deiss aime à rappeler tout ce qui a contribué à sa vocation et sa formation musicales : les encouragements de ses parents, l’excellence de la chorale de sa paroisse à Strasbourg, l’apport des pères Macher et Sutter, les cours à l’Institut de musique sacrée à Rome. Très vite, sa compétence et ses talents font merveilles. A Chevilly, le supérieur provincial lui donne carte blanche pour faire restaurer l’orgue ; d’autre part, les séminaristes sont très motivés pour le suivre dans toutes ses intuitions. Il puise son inspiration dans le chant grégorien et dans la polyphonie classique. Dès le début des années 1950, il compose ses premiers cantiques, qu’il enregistre avec la chorale de Chevilly et l’apport des voix féminines de la chorale d’Élisabeth Brasseur.

Lucien Deiss indique lui-même l’intuition fondamentale et la clé de toute son oeuvre :

« [Je suis devenu compositeur] presque par hasard. Je faisais du ministère dans la petite communauté paroissiale du Bon Pasteur. J’ai voulu y faire chanter du grégorien, le chant officiel de l’Église. J’ai donc créé une chorale… et ça n’a pas marché. Cet échec a été pour mois une grâce. J’avais également découvert à quel point mes paroissiens ignoraient la Bible. Je me suis dit alors : Pourquoi ne pas utiliser la musique pour mémoriser les textes essentiels de la Bible ? J’ai pensé que la musique pouvait aider à mémoriser la Bible et à diffuser son message »

De fait, les premiers « cantiques » du père Deiss sont en réalité des psaumes : « Je lève les yeux vers toi, mon Seigneur » ; « Mon refuge est dans le nom du Seigneur » ; « Garde mon âme dans la paix près de toi, Seigneur » ; « Terre entière chante ta joie au seigneur, alléluia ! ». Puis il mit en musique les hymnes du Nouveau Testament. Le père Deiss a traduit en cantiques inoubliables les textes inoubliables de l’Ancien et du Nouveau Testament :

« Souviens-toi de Jésus-Christ,

ressuscité d’entre les morts,

Il est notre salut, notre gloire éternelle ».

Des générations de Spiritains tremblent encore d’émotion en pensant aux entrées solennelles des jours d’ordination :

« Peuple de prêtres, peuple de rois, assemblée des saints,

Peuple de Dieu, chante ton Seigneur ! »

Ou en pensant à leur consécration à l’apostolat :

« L’Esprit de Dieu repose sur moi, L’Esprit de Dieu m’a consacré,

L’Esprit de Dieu m’a envoyé proclamer la paix, la joie. »

Le père Deiss rappelle volontiers qu’il a composé : « Dieu de tendresse et Dieu de pitié » pour un pèlerinage des étudiants à Chartres. Or, quelques jours plus tard, il a entendu, par hasard, un étudiant témoigner qu’à Chartres, il avait découvert que Dieu est Dieu de tendresse et de pitié, plein d’amour et de fidélité. Le père conclut : « Cet étudiant reprenait, sans s’en rendre compte, le chant du pèlerinage. Si un chrétien -rien qu’un seul !-  avait appris, grâce à ce chant, qui était Dieu : qu’il est tendresse et pitié, je dirais : Bénie soit cette musique ! et je m’estimerais heureux d’avoir été utile pour révéler ce Dieu. »

Tout Deiss est là : dans cette hantise de la Parole de Dieu, cette hantise de faire connaître la Parole de Dieu, cette hantise de proclamer, par la Parole et la Parole mise en musique, que Dieu est grand, que Dieu est beau, que Dieu est amour. « Quand on me demande ce que la musique apporte au texte, je réponds : musique et poésie nous ouvrent un chemin vers le Royaume. Dans la Bible aussi, « l’important, c’est la rose »: « Tu te drapes, Seigneur, dans la lumière… Seigneur, tu es si grand, vêtu de splendeur magnifique ». J’ai découvert que toute la terre, toute la nature, toute notre vie aussi, étaient remplies de l’amour de Dieu : « Père, ton amour remplit la terre. Montre nous ton visage d’amour. »

« Je me suis trouvé en face du peuple de Dieu qui me demandait à manger… À la place des paroles de feu des prophètes, on proposait aux fidèles l’eau tiède des catéchismes de l’époque. A la place de cette pluie d’étoiles qu’étaient, dans le ciel de la révélation, les psaumes, on leur offrait les petites bougies des dévotions. Il était nécessaire de remplacer l’eau des cruches par l’eau vive des sources bibliques. Pensez à la force œcuménique, plus grande que la meilleure homélie, du chant :

« Un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père. »

Songez a la théologie baptismale du chant :

« Souviens-toi de Jésus-Christ… Si nous mourons avec Lui, avec Lui nous vivrons. »

Le peuple avait faim et soif de la Parole de Dieu, le père Deiss lui a servi la Parole de Dieu par le moyen de plus de 400 compositions, chiffre donné par la Sacem [3]. Ces compositions ont été diffusées dans des dizaines de livres ou de carnets de chants ainsi que sur des dizaines de milliers de fiches, et enregistrées sur des dizaines et des dizaines de disques, de cassettes puis de CD. Beaucoup de ces compositions ont été traduites, éditées et interprétées en anglais, en espagnol, en italien, en chinois même. Mondialement, son chant le plus connu est « Souviens-toi de Jésus-Christ », devenu « Keep in Mind », qui a été retenu comme chant d’anamnèse dans la liturgie anglophone.

 

 

 

Par le chant, mais aussi par l’étude et par l’écrit

Le Père Deiss a beaucoup écrit. Dans le domaine de l’exégèse, il a publié, dès 1963, une synopse des Évangiles qui a rendu et rend encore bien des services. Mais c’est surtout dans le domaine de la liturgie qu’il a énormément travaillé et publié : études, commentaires, guides de célébrations, recueils de prières. Là encore, son audience internationale est étonnante, surtout aux États-Unis : « Je suis plus connu et célèbre aux États-Unis qu’en France », aime-t-il à répéter avec un sourire malicieux. Il a été honoré du prix du Meilleur musicien pastoral de 1992. Et là-bas, aux USA, certaines éditions de ses cantiques tirent jusqu’à 5 millions d’exemplaires ! « L’argent que je gagne dans les pays riches vient en aide aux pays pauvres. » Par cette boutade, le père Deiss indique qu’il a aussi énormément investi dans les pays du Sud, animant, en Afrique, en Amérique Latine, à Taïwan, des sessions de liturgie et d’écriture sainte, prêchant des retraites, mettant partout ses compétences et ses talents au service du peuple de Dieu et de ses responsables. Il reconnaît volontiers combien ses visites et ses tournées dans « les missions » l’ont impressionné et enrichi. Il suffit d’écouter son admirable prière :

« J’ai vu dans la savane… J’ai vu la sœur, fleur de brousse, essuyer le pus du lépreux et lui sourire d’amour pour guérir la plaie de son cœur et lui parler de Toi ».

Il disait : « J’ai essayé d’être missionnaire en demandant à la beauté d’être servante du Christ, en mettant dans les notes, parfois si rebelles, comme le sourire du ciel, pour qu’elles soient chemin vers le Seigneur. »

 

 

 

 

Discographie de Lucien Deiss :

Les cantiques et autres compositions du Père Deiss ont été enregistrées sur microsillons par les éditions Érato, Columbia, S. M., Levain, et sur cassettes (SM et Levain).

Ont été édités en CD ‑ et sont éventuellement disponibles- les titres suivants :

‑ Chez l’éditeur S. M. : Bientôt le jour se lèvera, 1989, réf. 12.17.26 ; Mère du Bel Amour, 1990, réf. 12.17.56 ; Prières pour tes merveilles (n° 1), 1991, réf. 12.19.80 ; Ave Maria (grégorien), 1992, réf. 12.21.63 ; Mélodies pour prier, 1992, réf. 12.20.99 ; D’un amour éternel, 1993, réf. 12.22.36 ; Prières pour tes merveilles (n° 2), 1994, réf. 12.22.81 ; Prières pour tes merveilles (n° 3), 1994, réf. 12.22.95 ; Vivante Parole, 1997, réf. 25.98.43 ; En cette nuit ‑ Noël, 1998, réf. 27.35.43 .

‑ Chez EMI Classics (France) : Chant grégorien, 1994, réf. 7243 5 68359 2 4

Publications bibliques, liturgiques et théologiques de L. Deiss :

– Marie, Fille de Sion, Desclée de Brouwer, 1958. Traduction allemande (Matthias Grünewald, 1962), espagnole (Cristianidad, 1964), italienne (Elementi Ed. Queoiniania, 1970) et anglaise (The Liturgical Press, 1972).

– Les Pères apostoliques, Fleurus, 1963.

– Aux sources de la Liturgie, Fleurus, 1963. Traduction anglaise (Ed. G. Chapman, 1967).

– Synopse de Matthieu, Marc et Luc, T. 1 et 2, Desclée de Brouwer, 1963‑1964. Nouvelle édition avec addition de Jean, sous le titre : Synopse des Évangiles, 1991. Rééditée en juillet 2007.

– Printemps de la Liturgie, Éd. Fleurus, 1996. Trad. anglaise parue sous le titre Early Sources of the Liturgy, Éd. G. Chapman, 1967.

– Concile et Chant nouveau, Ed. du Levain, 1969. Trad. anglaise parue sous le titre Spirit and Song of the New Liturgy, Chicago, World Library Publications (= WLP), 1976.

– Prières Bibliques, Éd. du Levain, 1974. Trad. anglaise, WLP, 1978.

– Prières bibliques en Église, Éd. du Levain, 1977. Trad. anglaise parue sous le titre : Come, Lord Jesus, WLP, 1981.

– Vivre la Parole en communauté, Desclée de Brouwer, 1974. Trad. anglaise parue sous le titre : God’s Word, God’s People (The Liturgical Press), 1976 et trad. italienne (Éd. Gribaudi, 1976).

– La Cène du Seigneur, Éd. du Centurion, 1975. Trad. italienne (Éd. Dehoniane, 1977), anglaise (Éd. Collins, 1980), portugaise (Éd. Paulinas, 1985), et espagnole (Éd. Desclée de Brouwer, 1988).

– Printemps de la liturgie, Éd. du Levain, 1979. Trad. anglaise, The Liturgical Press, 1977.

– Prières des Dimanches, 3 volumes, Éd. du Levain. Trad. anglaise parue sous le titre : Reflexions of His Word, WLP, 1980, 1981, 1982.

Many cultures, One love, North American Liturgy Resources (NALR), 1982.

– Prières pour tes Merveilles, Éd. du Levain, Vol. 1 et 2, 1983 et 1987. Trad. anglaise du vol. 1, (NALR), 1983.

– Célébrer la Parole, Ed. du Levain, 7 volumes, 1986‑1989. Trad. partielle parue chez NALR. – La Messe, Desclée de Brouwer, 1989. Trad. espagnole (Ed. Paulinas, 1980) et anglaise (The Liturgical Press, 1992).

– Célébration de la Parole, Éd. Desclée de Brouwer, 1991. Trad. italienne (Éd. Paoline 1992), espagnole (Éd. Paulinas, 1992) et anglaise (The Liturgical Press, 1993).

M. Fréchard et L. Deiss

Collection « Liturgie en fête ».  1 : La célébration chrétienne (traduction anglaise et espagnole, NALR) ; 2 : Les ministères et les services chrétienne (traduction anglaise et espagnole, NALR) ; 3 : La question essentielle (traduction anglaise, NALR) ; 4 : Louez Dieu par la danse (en collaboration avec Gloria WEYMAN) (traduction anglaise, NALR).

– Joseph, Mary, Jésus, Collegeville, Minnesota, The Liturgical Press, 1996 (traduction  française : Joseph, Marie, Jésus,  Versailles, Éd. Saint‑Paul, 1997).

Visions of Liturgy and Music for a New Century, Collegeville, Minnesota, The Liturgical Press, 1996.

– En collaboration avec Gloria Gabriel WEYMAN : Dancing for God, Cincinnati, World Library of Sacred Music, 1965 ; Dance for the Lord, Chicago, World Library Publications, 1975 ;  Liturgical Dance, 1984. 

 

[1] . Spiritain, missionnaire au Congo-Brazzaville de 1971 à 1982 puis de 1988 à 1995 ; a enseigné l’histoire de l’Église au grand séminaire de Brazzaville et à Chevilly (Centre Missionnaire Laval) ; a animé le Centre Libermann, à Saverne (1996‑1999) ; travaille depuis 1999 aux Archives générales de la congrégation du Saint‑Esprit, à Chevilly. Décédé le 11 novembre 2003.

[2] . En plus des propos recueillis par lui-même, Robert Metzger a puisé dans l’Écho des Missions, septembre‑octobre 1985, et dans le dossier : « Lucien Deiss, Parole de Dieu, Chant, Mission » paru dans la revue Pentecôte sur le monde, n’ 770, novembre‑décembre 1996, p. 8-25.

[3] Sacem : Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique.

Extrait de

–   Robert Metzger [1]  Mémoire Spiritaine, n° 16, deuxième semestre 2002, p. 149 à p. 156.